Essayer de voir
Auto-édition, octobre 2023
Commandes fermées
Essayer de voir est une édition auto-produite qui explore les gestes d’effacement à l’œuvre en montagne — ceux de l’humain qui cherche à se fondre dans le paysage et ceux du vivant géologique comme la glace, la roche ou le torrent.
Le livre s’organise autour de deux mouvements : L’effacement humain inspiré de la pratique de l’affût photographique — apprendre à déposer son pied au sol, à s’immerger, à observer sans troubler. Et l’effacement du vivant dans ses dynamiques géologique ou organique — le geste du glacier qui absorbe les sons, recouvre les couleurs et les formes de la roche sous-jacente, ou encore, le geste du torrent qui sculpte les roches qui l’hébergent.
L’édition est accompagnée d’une série de gravures non encrées. Les sommets qui ont inspiré ce texte sont représentés à travers les différentes tonalités de blanc du papier.
4ème de couverture :
Un jour, enfiler le manteau antique de l’instinct, et partir. Fermer la porte derrière soi. Et, sans tenir compte des limites du corps, se mettre au service du déplacement du vent. Dans une lente progression, aller à la rencontre. Réapprendre à marcher, à écouter, à voir. Et s’effacer.
Loin en soi, une fêlure s’ouvre ; offre un passage. Se laisser entraîner dans cette faille qui est tout autant une rupture qu’une création. Elle nous amène à contempler, à inventer de nouvelles formes iconographiques au vivant.
À travers les blancs, les creux, les recouvrements, le vivant se manifeste dans de multiples gestes d’effacement. Le glacier devient monochrome ; le torrent, sculpteur ; la trace d’un mammifère, vestige.
Et à travers la contemplation de ces gestes, assister aux interdépendances et admirer le monde.
Essayer de voir, gravure n°6, Tête de l'Ours, p.44
S’effacer.
Se soustraire au regard. Réduire sa portée visuelle, se neutraliser. Rentrer dans un processus de retrait et d’occultation.
Faire de soi, un geste d’effacement.
Explorer ce que F. Scott Fitzgerald appelle, dans son ouvrage du même nom, La Fêlure 1. Se laisser entraîner dans une faille qui est tout autant une rupture qu’une création. Se plonger, un moment, dans le bouleversement d’un soi humain et se permettre de nous fuir. Rompre avec les agencements correctement ordonnés de l’être pour tenter un devenir autre. Progressivement, laisser le temps créer cette fêlure silencieuse en soi, imperceptible à la surface. Une fêlure qui nous efface, nous permet d’être à la frontière.
À l’interstice entre le regard dans son absolue présence, dans sa complète attention et la présence, qui elle est entièrement occultée, parfaitement ablatée.
En permanence, chercher cet équilibre. Lutter avec ce que Deleuze explique dans Logique du sens, « les coups extérieurs ou les poussées intérieures bruyantes qui la font dériver [cette fêlure] qui l’approfondissent et l’inscrivent ou l’effectue dans l’épaisseur.» 2
C’est-à-dire, ici, lutter avec les sursauts du corps, qui tentent de manifester sa présence, lutter avec l’esprit qui tente de remplir la fêlure par son ébullition mais également ne pas perdre de vue le regard, rester attentif.ve. Rester à la surface sans demeurer sur le rivage. Se laisser aller dans le devenir autre chose, se laisser aller dans la disparition d’un soi.
Essayer de voir, Extrait, p.47
1 FITZGERALD (Francis Scott), La Fêlure, Paris, Éditions Gallimard,1945
2 DELEUZE (Gilles), Logique du sens, 22ème série Porcelaine et volcan, Paris, Éditions de Minuit, 1969